La matinée de safari fut tranquille, juste quelques lions sommeillant et une poignée de zèbres peu hardis qui hésitait à traverser la Mara à "Paradise Crossing" pour se convaincre sans doute que l'herbe est toujours plus verte ailleurs...
Nous avions décidé Tim et moi de prendre le petit déjeuner un peu plus tôt que d'accoutumée, sur la rive ensoleillée de la rivière nonchalante, épiés des regards d'hippopotames suspicieux...
Vers dix heures, la lumière devenant dure, je rangeais définitivement mon équipement de prise de vue et nous reprenions la piste retour vers le camp, à 1h00 de là, bredouille et vaincus cette fois, cela est rare à Masai-Mara, par une matinée photographiquement stérile.
Mais les dieux de la savane, toujours malicieux ceux-là, avaient élaborés un scénario inattendu que nous ne pouvions imaginer...
Alors que le 4x4 cahotait sur la piste plus poussiéreuse que jamais, à hauteur de Rekero, au beau milieu d'un troupeau de buffles à 200 mètres environ, deux monstres cuirassés comme des chars d'assaut guerroyaient sauvagement ! Il aurait fallu être aveugle pour ne pas les voir s'agiter en dépit de la distance !
Nul besoin de préciser à Tim comment se positionner, il intègre depuis toujours la distance, le fond, la lumière, fut-elle particulièrement écrasante à ce moment-là.
Je ressors bien vite le 500 mm de sa caisse et j'engrange les images par dizaines. Les hautes herbes empêchent souvent la précision de la mise au point, mais lors des violents coups de cornes, les têtes colossales des monstres émergent de la savane et les rafales à 12 images/secondes crépitent. La carte mémoire a du mal à digérer le flux d'informations, le buffer cale parfois...
Les deux masses noires de 600 kilos chacune se percutent, le bruit sec des cornes qui s'entrechoquent claque dans l'air. Le hasard veut que le combat amène les guerriers à 5 ou 6 mètres du Land Rover, peut-être moins un instant ! Tim, pas rassuré du tout, tourne la clé du contact pour s'éloigner mais je l'en dissuade fermement, une occasion comme celle-ci, se trouver dans l'arène-même avec les combattants, ne se présentera sans doute jamais plus ! Au pire, tout du moins j'essaie de m'en convaincre, le 4x4 s'en tirera avec de la tôle froissée ! Je termine les prises de vue au 70/200 mm. Je peux voir à travers le viseur des gouttes de sang gicler dans l'air ; je sens et j'entends le souffle court des deux colosses. L'extrémité des redoutables cornes flirtent avec les yeux du rival à les crever...